Pistes de réflexion 5 : les métiers

Pistes de réflexion sur les défis économiques 5 : les métiers Dans l’histoire du Maroc, depuis des siècles, l’artisan est omniprésent dans le quotidien des citoyens que ce soit pour l’habillement, le logement, le harnachement de leurs montures, les outils et instruments de travail, les armes ou l’orfèvrerie ou la joaillerie. Il occupait diverses positions dans la société en fonction des articles qu’il produisait, un orfèvre, un sellier, un tailleur ou même de fabricant de tapis ayant toujours un statut plus élevé qu’un dinandier, un cirier, un potier ou un matelassier. Mais l’artisan était, également, celui qui apportait un service aux personnes, à domicile ou dans son échoppe pour les différentes interventions de réparation ou de fabrication requises. Ces métiers se pratiquaient au moyen d’outils, généralement, légers à l’exception des forges des ferronniers et autres dinandiers et des établis des menuisiers. Bien que léger, cet outillage était extrêmement spécialisé et affûté pour répondre aux exigences du travail des différentes matières. Certains métiers s’exerçaient dans des espaces mutualisés en raison de leur spécificité à l’instar des tanneurs. En l’absence d’une industrie manufacturière, les artisans maitrisaient leur métier et étaient regroupés en corporation par métier. Ces dernières étaient dirigées par l’artisan le plus adroit, ayant une grande probité, un grand sens moral et coopté par la quasi-unanimité de ses pairs. Il gérait les litiges entre les artisans de la même corporation, recevait les réclamations des clients des artisans et émettaient des jugements opposables aux deux parties et, enfin, défendaient les intérêts de la corporation et de ses membres par-devant le pouvoir en place, qu’il soit régional ou central. Il faisait autorité pour toutes questions liées au métier ou aux artisans de la corporation, y compris lors de l’appel à solidarité et à contribution du pouvoir central dans la mobilisation pour les causes nationales. Ce personnage était désigné du nom de Al Amin ce qui correspond au patron des corporations en France, par exemple, le terme arabe ayant une connotation appui de confiance. Ces artisans étaient fiers et jaloux de leur métier et très attentifs à leur renommée qui était, alors, le seul instrument marketing à leur disposition. L’obsolescence des produits était d’une durée parfois supérieure à la durée de vie de leurs utilisateurs et certains articles se transmettaient de génération en génération dans les familles. Ces corporations connurent leur âge d’or sous les différentes dynasties ayant régné au Maroc avec une expansion particulière sous le règne des Sultans Alaouites, avec l’importation de certaines matières qui entrèrent, par exemple, dans la fabrication des armes, rendant autonome le pays pour sa défense et ses conquêtes. L’apport de la civilisation arabo-andalouse contribua pour une part importante et les produits de cet artisanat arrivèrent jusque dans les grandes cours européennes qui ne tarissaient pas d’éloges sur ces merveilles « orientales ». Avec l’intrusion du monde occidental dans l’espace chérifien, nombre de ces articles traditionnels, et pourtant fonctionnels, furent supplantés par les produits de l’industrie manufacturière, équivalents ou les imitant, ce qui a fait disparaitre certains métiers et en a dévalorisé d’autres à l’exception, pourtant, des métiers d’excellence, préservés par la résistance des traditions dans les occasions majeures de la vie des citoyens, telles que mariages, moussems et signes distinctifs d’appartenance à telle ou telle caste ou confrérie. Malheureusement, les petits métiers d’assistance aux ménages disparurent et furent remplacés par les professions et techniques importées et auxquelles ont été initiés nombre de descendants des métiers traditionnels sans jamais se les approprier dans leur essence comme cela était le cas dans le passé, l’artisan faisant corps avec son métier quand la transposition moderne n’était plus qu’un emploi au moyen d’une technique enseignée dans une langue imposée. Avec l’Indépendance, l’Etat tenta de rendre son éclat à l’artisanat et il créa, en 1957, la Maison de l’Artisan qui devint plus un reliquaire qu’un outil de promotion de l’artisanat. En 1999, le département de tutelle fit adopter une loi modifiant le dahir de création de la Maison de l’Artisan pour réorienter sa mission vers la promotion du secteur hors de frontières comme au plan local. Enfin, en 2006, la marque institutionnelle Artisanat du Maroc fut créée avec logo et définition d’un programme pour promouvoir, protéger et certifier la production artisanale marocaine dans le cadre de la Vision 2015 en prônant l’excellence et inscrivant l’artisanat du Maroc et le répartissant dans six filières et en procédant à la labellisation des produits pour tirer l’ensemble de l’artisanat vers le haut. Malheureusement, l’industrie d’imitation, encouragée par le tourisme de masse, friand de souvenirs à petit prix, a grandement dévalorisé l’image de la production artisanale d’excellence auprès du plus grand nombre, les élites restant attachées, elles, à l’artisanat de grande qualité des intrants comme du savoir-faire, ce qui en assure la survivance mais pas nécessairement le déploiement, seule locomotive capable de tirer vers le haut ce savoir-faire national qui est devenu une denrée rare et qui croule sous le poids de la concurrence déloyale du « moins cher avec l’apparence de la qualité » en l’absence de label reconnu pour la certifier. Il nous faut, d’urgence, normaliser, codifier et labéliser les métiers pour créer les soubassements d’une production vertueuse garantissant le rayonnement de nos savoir-faire nationaux. Saâd Raïssi Le 12 mai 2020